Trois questions à Pierre Streit

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« L’armée suisse n’échappe pas à la spirale du désarmement

qui frappe l’Europe tout entière. »

 

Grosse actualité littéraire pour l’ami Pierre Streit, qui était récemment encore le directeur scientifique du Centre d’Histoire et de Prospective Militaires (CHPM) de Pully, canton de Vaud. Après Rütli, Une voie pour l’avenir 1940-2015 (en collaboration avec Suzette Sandoz, Cabédita, 2015) et Morgarten, Entre mythe et réalité 1315-2015 (en collaboration avec Olivier Meuwly, Cabédita, 2015), Pierre Streit a publié au début de l’année 2016 une analyse serrée de la bataille d’Arnhem, Arnhem 1944, Un pont trop loin ? aux Éditions Economica. Un modèle du genre, dans une collection « Campagnes et Stratégies » déjà bien étoffée ; la preuve qu’en histoire militaire comme ailleurs, on peut être prolifique sans jamais tomber dans la facilité. À l’occasion des célébrations qui accompagnèrent le 75e anniversaire du Rapport du Rütli, Pierre Streit – l’historien et le citoyen-soldat – avait accepté de répondre à nos questions.

 

Quelle signification le Rapport du Rütli conserve-t-il dans la Suisse de 2015 ?

Le 25 juillet 2015, la Société suisse des officiers a tenu à marquer le 75e anniversaire du “rapport d’armée” qui s’est déroulé sur la prairie mythique du Rütli. J’y étais aussi. En 2015, je suis convaincu que cet événement ne peut être oublié à l’image, en France, de l’Appel du 18 juin. Dans les deux cas, deux généraux courageux ont pris la parole dans des circonstances dramatiques. En Suisse, la chute de la France a suscité un choc incroyable. Au moment où l’armistice est conclu, nombreux sont ceux qui, en Suisse, croient une invasion allemande imminente. Vu la situation en Europe alors, une telle éventualité était loin d’être absurde. Et la découverte de documents allemands et italiens a montré que ces craintes étaient justifiées. Il s’agissait donc pour le Commandant en chef de l’armée suisse de s’adresser à ses commandants “de soldat à soldat”, afin de leur présenter la stratégie du Réduit, une stratégie basée sur le bluff mais aussi sur une appréciation réaliste des possibilités militaires de la Suisse en juin 1940.

 

Le général Guisan est-il toujours la figure historique du 20e siècle préférée des Suisses ?

Oui. Il a été élu “Romand du Siècle”, devant l’entrepreneur Nicolas Hayek (Swatch) ou le scientifique Auguste Piccard. Je crois que le lien unique qui a existé entre lui et le peuple suisse via ses citoyens-soldats continue à marquer les générations. Cela étant, les historiens qui essaient de comprendre les événements et pas de tout déconstruire doivent poursuivre ce combat car rien n’est acquis, en particulier dans l’enseignement de l’histoire.

 

Qu’en est-il aujourd’hui de l’ « esprit de défense » indissociable de la citoyenneté suisse ?

Cet esprit perdure avec l’armée de milice et l’obligation de servir confirmée par le peuple suisse en septembre 2013. Toutefois, l’armée suisse n’échappe pas à la spirale du désarmement qui frappe l’Europe tout entière. Pour un pays neutre et non aligné comme la Suisse, miser seulement sur une éventuelle aide étrangère, alors que tous nos voisins ont des moyens juste suffisants (et encore) pour assurer leur propre sécurité serait irresponsable. C’est dans cette perspective qu’un “esprit de défense” doit s’inscrire. Cela passe par trois chiffres : 100 000 hommes, 5 milliards de francs de budget annuel, 5 millions de jours de service par an. C’est là une condition sine qua non pour que notre défense reste crédible et dissuasive.

 

Pierre Streit, Suzette Sandoz, Rütli, Une voie pour l’avenir 1940-2015, Cabédita, 2015, 160 p.

(Une version raccourcie de cet entretien a paru dans le n°157 – octobre-décembre 2015 – du magazine Eléments.)