Revoir Massada

Comme la majorité de ses lecteurs, le premier livre de Jean Lartéguy à être passé entre mes mains fut Les Centurions, son best-seller acheté cinq francs de l’époque chez le bouquiniste situé juste à deux rues de mon école. J’étais alors dans ma période « Troupes d’élite », mais contrairement au général US (cinq étoiles) David Petraeus, le commandant de l’ISAF en Afghanistan dont on assure qu’il a fait des Centurions son livre de chevet, j’avoue n’avoir jamais réussi à le lire en entier. Ayant renoncé à le terminer un jour, il y a peu de chance que je m’attaque dans la foulée aux deux autres volumes de sa trilogie à succès. Je les cite pour mémoire : Les Prétoriens, Les Mercenaires.Un livre sur le Japon en reconstruction au temps de la guerre de Corée, Le Paravent japonais, qui ne m’a laissé aucun souvenir impérissable ; je n’ai découvert le vrai Lartéguy qu’à la lecture de son roman Tout homme est une guerre civile − une réussite cette fois, à commencer par le titre, bien dans le ton des romans révolutionnaires des années 60-70. Deux tomes parurent d’affilée et, à ma connaissance, Lartéguy n’insista pas. Selon moi, à ranger dans la même catégorie que les romans sud-américains de Régis Debray et de Jean-Edern Hallier.

Vinrent ensuite Les guérilleros, récit à chaud (1967) de son voyage en Bolivie sur les traces encore fraîches de Guevara, publié en poche en 1972, qui nous rappelle que Lartéguy fut d’abord un grand reporter envoyé couvrir tous les conflits de l’hémisphère sud, et son autobiographie, La guerre nue, dans laquelle l’écrivain se confie à François Poli en 1976. Où l’on retrouve sur la couverture une image du film de Mark Robson tiré de son roman Les Centurions. Là encore, le titre en dit plus en trois mots qu’une longue explication de texte.

Voilà pour ma bibliothèque. J’en aurai fait le tour exhaustif après avoir parlé de mon livre préféré de Jean Lartéguy. Daté de 1968, Les Centurions du Roi David n’est ni un roman, ni une enquête, mais un album noir et blanc grand format, cosigné Lartéguy aux commentaires et Alain Taieb à la photo. Le nom de l’éditeur, la Pensée Moderne, peut prêter à confusion mais pendant des années, ce qui s’est publié de mieux à droite de la droite française est sorti de cette maison.

« Et c’est ainsi qu’une nation est devenue une armée, où les enfants naissent un fusil dans le dos, et où les mères poussent les fils au combat, comme à Sparte. » Israël venait de remporter la guerre des Six Jours contre la Ligue arabe. En bon journaliste de terrain, Lartéguy décide de vérifier lui-même si les propos colportés sur ce peuple, « d’élite, fier et dominateur », sont fondés. Il ira surtout à la rencontre de l’Israël des kibboutzim, de ces jeunes gens des deux sexes guère plus âgés que leur État, le fusil toujours à portée de main au volant de leurs tracteurs agricoles et, avec le recul, le livre y gagne en valeur documentaire ce qu’il y perd en actualité. Les amateurs apprécieront les gros plans sur la carabine Mauser-CZ d’instruction (CZ pour tchécoslovaque) et sur le FN FALo, version locale du 7.62 semi-automatique FAL, fabriqué par IMI en échange de la licence de la mitraillette Uzi avec la FN Herstal. J’avais oublié pour ma part que sous le règne de l’empereur Hadrien, la réputation guerrière des Juifs n’était déjà plus à prouver. Quant à leur présence nombreuse dans les légions de Rome, je l’ignorais.

Le livre se referme sur une vue aérienne de la forteresse de Massada que survolent deux Mirage israéliens, et il me revient la discussion fortuite, saisie cet été 2008 au sommet de la montagne, entre l’écrivain Sarah Vajda* et un jeune officier des golani, originaire de Marseille. Nous ne connaîtrons que son prénom : Elias. Professeur d’histoire-géographie dans une autre vie, les motivations de son engagement étaient faciles à comprendre. Tout dans sa section, d’ailleurs mixte, respirait la santé et l’esprit de corps. Arrivés en haut, certains, une minorité, avaient prié, mais le gros de la troupe s’était contenté de récupérer au soleil. Je me souviens, le cuir rouge de leurs bottes de marche m’avait frappé tandis que nous grimpions l’escalier taillé dans la paroi.

L’annonce de sa mort, survenue le 23 février 2011, a valu à Jean Lartéguy des hommages divers dans la presse, « centurion des lettres », « écrivain baroudeur » ici, « écrivain romantique en tenue léopard » là. Je laisse les lecteurs désireux de connaître la liste de ses décorations militaires ou l’année de son Prix Albert Londres consulter sa notice Wikipédia. Ils ont l’habitude maintenant.

L. Schang

* Amnésie, Contamination, Le Terminal des anges, Gary & Co, etc.