Les Provinciales rééditent six textes de Pierre Boutang publiés entre le 25 mai et le 6 juillet 1967 dans La Nation française, réunis sous le titre de La Guerre de Six jours*. À ranger entre Raymond Aron (De Gaulle, Israël et les Juifs) et Emmanuel Berl (Nasser tel qu’on le loue) dans sa bibliothèque.
– En l’an 5727 du calendrier hébraïque, David et Goliath avaient pour noms Yitzhak Rabin et Gamal Abdel Nasser, contrairement à l’idée reçue qui veut que Moshe Dayan fût le tombeur du Raïs égyptien ;
– Le Raïs, qui promettait à longueur de discours sur les ondes et dans les journaux du Caire un deuxième génocide juif, cette fois au Proche-Orient ;
– Remportée en six jours, le nombre de jours qu’il fallut à Yahvé pour créer le monde, la victoire israélienne ne fit pas que détruire le gros du matériel de la coalition arabe, elle détruisit aussi le mythe de la dissuasion nucléaire partagé par les deux blocs, un petit État, Israël, étant passé à l’attaque pour défendre ses intérêts nationaux après avoir compris que sa sécurité ne serait garantie par personne, sinon par lui-même ;
– Où le président de Gaulle est pris en flagrant délit de contradiction quand il attribue l’entièreté des torts au premier agresseur, un raisonnement qui va à l’encontre de sa sacro-sainte doctrine de l’indépendance nationale (cf. sa conférence de presse du 27 novembre 1967) ;
– Pourtant, à bien y réfléchir, la guerre des Six jours, du 5 au 10 juin 1967, fut aussi une victoire française – de l’industrie militaire française plus précisément, grosse pourvoyeuse de Tsahal jusque dans les années soixante, avant la signature des contrats avec l’Argentine, la République Sud-africaine et l’Irak ;
– Israël ou le retour de l’héroïsme stato-national en pleine période de renoncement à la fierté nationale en Europe de l’Ouest, ce que ne lui pardonnèrent ni les droites honteuses, ni les gauches victimaires, une logique dont nous ne sommes toujours pas sortis aujourd’hui ;
– Ceci, alors que nous savons maintenant que les Occidentaux auraient lâché Israël si les Égyptiens avaient attaqué les premiers, de peur d’être taxés d’impérialisme à l’ONU – De la légitimité de la guerre préventive, en regard des accommodements entre grandes puissances et autres coupables manquements au droit international ;
– De petite nation exemplaire qu’elle était en 1948, extension de l’Europe au Moyen-Orient, la nation israélienne devenue grande avec la prise de Jérusalem va désormais se voir reprocher par l’Église chrétienne son propre constat d’échec car il ne peut y avoir qu’un peuple élu, gardien des Lieux Saints ;
– Les Soviétiques, quant à eux, auraient bien vu un deuxième Vietnam dans la région ;
– Un paradoxe, la nation palestinienne, création et créature du panarabisme, n’existe que parce que la nation israélienne s’accroche aux frontières de son État. En résulte, au lieu du traditionnel rapport de forces, une dialectique mortelle qui rend illusoires les chances d’arriver un jour à une paix négociée ;
– Ironie de l’histoire, en 67 comme en 56, Nasser le socialiste ne fut sauvé que par les bonnes grâces du camp capitaliste, les États-Unis ayant jugé préférable de maintenir à son poste le héraut de l’anti-colonialisme, un héraut diminué mais un héraut tout de même ;
– Quand, qualifié de dernier surgeon de l’impérialisme occidental, Israël continue d’incarner seul « les anciennes valeurs de l’Europe » (Boutang) reniées par les Européens eux-mêmes après 1945 – le sionisme est un barrésisme, « la terre et les morts », c’est là son plus grand scandale en notre époque.
L. Schang