Ma pile de livres parle d’Une nouvelle Guerre de Trente Ans ?

Une nouvelle guerre de Trente Ans, de Bernard Wicht

Bien que la prospective soit un art populaire, j’avoue en lire peu: l’extrême difficulté à y rester déductif sans se laisser parasiter par des a priori idéologiques, et la tendance trop répandue à vouloir se faire prophète de catastrophe m’ont souvent découragé. Et c’est un SP, d’autant plus bienvenu que je n’aurais jamais repéré en librairie ce tout jeune éditeur, qui m’a permis d’y gouter d’y nouveau.

Ce très court texte est une sorte de squelette d’argument, proposant quelques idées nouvelles dans ce qui devrait ensuite être développé plus profondément. Bernard Wicht rapproche la situation actuelle de l’Europe à celle du début du 17ème siècle: un système étatique et supra-étatique (l’UE) semblant arriver à la fin de son évolution, ainsi que le montre l’importance des “déchets” ou “forces non productives” (matérielles et humaines) entretenues dans la zone; une crise budgétaire sévère pouvant mener à des réactions militaires comme dernière tentative de maintenir à flot un système à bout de souffle; une évolution des forces armées rendant plus probable des conflits de basse intensité qu’une quelconque guerre conventionnelle[1], surtout si les quasi-armées privées, telles qu’apparues lors de l’occupation de l’Irak, deviennent la norme. Tout ceci ressemblant quelque peu aux conditions qui menèrent à la guerre de Trente Ans.

La démonstration combine des idées venues de différents endroits et souffre parfois d’un phénomène de “copier/coller” qui se caractérise par des raccourcis qui fragilisent l’ensemble. Si on est tolérant avec l’auteur, on considère son texte comme le “chemin de fer” d’un argumentaire plus rigoureux qui n’est pas encore achevé; si on est mal luné, on lui reproche un manque de rigueur.

Pour donner quelques rapides exemples de détail, le recrutement de 60.000 “agents de sécurité” représente des contrats de “centaines de milliards d’euros” (p.20), ce qui, à un coût moyen supérieur à 1.5 millions d’euros, suggère une erreur de calcul; l’action décidée du Royaume-Uni pour se faire rembourser par l’Islande, en 2008, est prise comme typique (p.21) alors qu’on pourrait surtout en voir une exception vu les efforts coordonnées vers la Grèce depuis 2 ans. De la même façon, le texte semble admettre que l’UE est une “grosse administration”, alors que les équipes bruxelloises, dès qu’on les regarde de près, semblent d’une taille fort modeste comparées aux administrations nationales.

Plus fondamentalement, deux points de la démonstration mériteraient d’être creusés, d’être démontrés plutôt qu’affirmés. Pour Wicht, l’intégration européenne a éliminé la saine “compétition entre Etats” qui était le ressort du progrès sur le continent (p.28) – mais quid du niveau d’impôt sur les sociétés irlandais ou de la déflation salariale allemande? Et, p.22, un “système complexe” est mis en équivalence avec un “système fragile”, alors que l’on pourrait tout aussi bien considérer que “complexe” signifie “redondant” donc “solide”[2]

Redisons-le: la prospective est un art difficile, et déjà lire quelque chose qui soit à la fois original, posé, et point trop biaisé par une quelconque idéologie, est rafraichissant. La plaquette de Bernard Wicht ne fait que 60 pages, et on ne peut guère regretter l’effort de l’avoir parcourue. On espère que l’auteur, en développant et en systématisant son propos, pourra en faire quelque chose de plus puissant.

Source : mapiledelivres.org

Notes

[1] Sur ce dernier point, l’inspiration est dans la ligne du Martin van Creveld de la Transformation de la guerre, montrant une nouvelle fois combien ce texte est séminal

[2] Je peux ici citer de nombreux exemples. Considérons par exemple une voiture, un système compliqué fait d’environ 2000 composants alliant mécanique, dynamique, électronique. Comme la complexité de l’ensemble est telle que très peu d’ingénieurs en maîtrisent les subtilités, chacun rend son sous-système redondant. Les cahiers des charges demandent plus que nécessaires – parfois jusqu’à l’absurde (les pièces ont une durée de vie largement supérieure à celle du véhicule), et personne ne prend le risque de les réduire, justement par incapacité à maîtriser l’impact sur système. Au bout du compte, la complexité a entrainé la solidité plutôt que l’inverse. On peut prolonger l’exemple: le réseau d’entretien des voitures, entre garagistes, approvisionnement en pièces détachés, et profusion des types de véhicules, est aussi un système complexe. Il faut néanmoins beaucoup de dysfonctionnements pour qu’un véhicule en panne ne puisse être réparé.