Les Annales de l’Est encensent L’infanterie attaque d’Erwin Rommel

Erwin ROMMEL, L’infanterie attaque. Enseignements et expérience vécue, Nancy, Éditions Le Polémarque, 2012, 429 p.

Infanterie greift an ! Voici un document tout à fait passionnant enfin disponible en langue française grâce à une jeune maison d’édition nancéienne. Le projet était à la fois ambitieux et simple : donner au plus grand nombre la possibilité d’accéder à ce texte de celui qui était alors non pas le maréchal Rommel mais un jeune officier de la Grande Guerre. Il existait bien une première édition mais confidentielle, liée au parcours personnel du colonel M. Allorant et de ses rencontres avec le livre de Rommel, en allemand puis en anglais : il effectue alors la première traduction destinée aux officiers de l’Ecole d’Application de l’Infanterie (E.M.I.A.) en raison des enseignements que le lecteur pouvait encore en tirer, plus d’un demi-siècle après. C’est cette même traduction qui est livrée dans le présent livre, avec plus de 70 plans et une dizaine de gravures que l’on trouve dans les éditions allemandes (dont la première date de 1937).

Ce livre peut être observé et lu de diverses manières. Certes, la plume est guidée par un patriotisme et un nationalisme allemand propre à la génération d’officiers à laquelle appartenait Rommel et dont Ernst Jünger et son Orages d’acier constituent une autre illustration. Il faut donc le lire sans fausse pudeur pour ce qu’il est : un témoignage de son époque. En effet, L’infanterie attaque est un témoignage d’un combattant de là Grande guerre, certes écrit après les événements : il ne s’agit donc pas d’un texte brut mais bien d’un récit qui « se trouve parfaitement coller aux attentes psycho-politiques de l’Allemagne nazie» (p. 6). Le portrait des Français, et surtout des Italiens, n’est guère flatteur. Le livre contribue à construire l’image de Rommel et son insertion dans le régime nazi : tel était aussi son objectif. Pourtant, le lecteur étant averti, tout cela n’ôte rien aux apports de ce livre. En premier lieu, il s’agit du regard d’un professionnel sur la guerre elle-même et son ambiance : il n’y a guère d’apitoiement mais bien des récits précis de combats qui l’ont mené de la Meuse et l’Argonne au front italien, en passant par la Roumanie. A lire Rommel, on saisit mieux la réalité des combats, ceux en rase campagne et forêt dans la période de l’été-automne 1914 puis dans les montagnes avec le « bataillon de montagne du Wurtemberg ». En Argonne, alors que les ennemis sont déjà enterrés dans des systèmes de tranchées, on découvre un style très pugnace du jeune officier allemand : prendre l’initiative, porter en avant la puissance de feu des mitrailleuses pour briser la résistance ennemie puis prendre de flanc ou par l’arrière. Lorsque l’on connaît les pratiques de Rommel au cours de la Seconde Guerre mondiale, le lecteur reste songeur. Car c’est là un second apport : la modernité tactique de l’ouvrage. Il ne s’agit pas d’un manuel tactique mais d’un état d’esprit, même si plus de 40 combats y sont présentés. Les petits paragraphes d’observations qui servent de conclusions aux chapitres soulignent la volonté de prendre du recul et de tirer des enseignements du déroulement des faits. Le livre n’a, semble-t-il, guère été lu en France avant 1940, alors qu’un De Gaulle avait été lu par un certain Guderian qui n’a jamais fait mystère de cette source d’inspiration. En troisième lieu, le récit fourmille de détails sur les combats en Lorraine occidentale, et sur l’armée allemande. Ici et là, Rommel nous fait entrer dans le fonctionnement de cette armée, dans son adaptation aux combats, de la guerre de mouvement à la guerre de tranchées, dans son recueillement aux morts, etc.

L’historien serait bien entendu intéressé par une étude critique de l’ouvrage, qui pourrait passer par l’étude des carnets originaux eux-mêmes (!) et un croisement avec des témoignages et des données historiques sur les combats de Rommel, en particulier en France. Tel n’était bien entendu pas le projet des Éditions Le Polémarque. Dans le contexte d’un Centenaire à venir, l’édition de ce texte constitue un parallèle et un miroir tout à fait intéressants aux témoignages de Poilus. Reste à espérer que ce Centenaire de la Grande Guerre sera l’occasion de produire d’autres témoignages de soldats allemands pour qu’enfin nous sortions du point de vue franco-français, au moins pour une chose qui a son importance en Lorraine : le soldat allemand, c’était certes un ennemi, un camarade de misère, mais il était également parfois un Mosellan ou un Alsacien. Cette édition du témoignage de Rommel nous rappelle que la transcription de carnets de guerre de soldats allemands constitue certainement un élément important d’une démarche mémorielle et du souvenir à l’égard des anciens combattants de cette Première Guerre mondiale.

 Laurent Jalabert (CRULH Université de Lorraine), Annales de l’Est n°2, 2012, pp. 299-300