Le Trente-septième Stratagème chinois

Le Trente-septième Stratagème chinois La fièvre des JO de Pékin retombée, la réalité des relations diplomatiques sino-occidentales peut désormais reprendre ses droits. Taïwan, Corée du Sud, Japon : les dirigeants chinois n’excluent pas la recours à la guerre – sous toutes ses formes – pour résoudre leurs différends de voisinage. Deux officiers supérieurs de l’Armée de l’air chinoise, Qiao Liang et Wang Xianghui, ayant leurs entrées au PCC, déclinent la gamme des actions à envisager, du terrorisme économique à la confrontation militaire directe. Libre adaptation de leur traité de la guerre « au-delà de toute frontière et limitation ».*

1. En temps de paix, le bon stratège fait croire à son adversaire que celui-ci lui dictera toujours ses règles de la guerre. De cette façon, il impose sa volonté à l’adversaire.

2. La meilleure armée du monde a encore un défaut à sa cuirasse : la trop grande dépendance technologique de ses hommes sur le champ de bataille.
Les meilleurs stratèges occidentaux ont encore une faille dans leur raisonnement : la trop grande confiance qu’ils placent dans l’avancée technologique de leurs armées.

3. Ce qui apparaît le plus adéquat pour l’ennemi peut s’avérer inapproprié, voire dangereux pour soi.

4. À lui seul, aucun armement ne saurait être stratégiquement décisif. Plus les armées occidentales se doteront de nouveaux systèmes, moins lesdits systèmes joueront un rôle effectif au combat.

5. Même un ennemi très puissant peut finir par s’attaquer à plus fort que lui, causant ainsi sa perte. La course effrénée aux armes intelligentes, le coût exorbitant des dépenses militaires [1] sur l’économie états-unienne pourrait bien de même entraîner à terme la chute de l’empire américain.

Le Trente-septième Stratagème chinois 6. Le rêve de tout stratège au commencement de la bataille : regarder depuis une hauteur l’adversaire, éreinté par sa marche forcée, s’effondrer en arrivant sous le poids de son propre équipement.

7. Pour vaincre, il faut accepter de subir des pertes. Quand vous partez en guerre, ayez bien en tête qu’à chaque objectif doit correspondre un nombre plus ou moins élevé de vies humaines à sacrifier. Sur le plan psychologique, la pire des choses serait de croire possible de conduire une guerre en fonction de la quantité de pertes que la nation peut consentir.
Le concept de « zéro mort » ne constitue en aucune manière une doctrine stratégique pour qui prétend à l’hégémonie mondiale.

8. Le summum de l’art de la guerre n’est pas de terrasser l’ennemi dans un assaut frontal, une attaque régulière, c’est de savoir profiter des erreurs qu’il est amené à commettre et qui le rendent vulnérables. L’erreur la plus grave de nos jours consistant à penser les conflits à venir dans la continuité des guerres du passé.

9. En stratégie, qui croit avoir tout prévu se condamne très vite à perdre l’initiative. La Révolution dans les Affaires Militaires [2], par exemple, parce qu’elle dilapide les finances du département américain de la Défense au seul bénéfice des forces armées, sans considération pour les autres dimensions de la guerre, interdit aux États-Unis d’intégrer dans son entier la véritable révolution en cours à l’échelle de la planète.

10. Tant il est vrai que même la première armée du monde peinera toujours à soutenir plusieurs fronts à la fois.

11. Au contraire, la Chine doit être prête à combattre simultanément sur différents fronts, quels que soient les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.

Le Trente-septième Stratagème chinois 12. Par différents fronts, il faut entendre également les « actions de guerre non militaires », renseignement, piratage, guerre de l’information, et les « actions militaires non guerrières », telles que les opérations de maintien de la paix ou la lutte antiterroriste.

13. L’époque n’est plus à la défense des frontières géographiques. L’action stratégique englobe désormais des domaines intéressant aussi bien l’économie, la finance, les richesses du sous-sol, l’environnement que la culture, les religions, voire les couches thermosphérique et exosphérique de l’atmosphère terrestre.

14. Les lois de la guerre, lois internationalement reconnues, n’existent pas hors du bon vouloir des nations. Ne les invoquent au moment des faits que les États dont-elles peuvent servir les intérêts.
Les États forts les mettent en avant pour asseoir leur domination ; les États faibles les utilisent pour défendre leurs causes.
Mais que ces lois entrent en contradiction avec leurs intérêts, et tous les États les bafouent sans scrupule aucun.

15. C’est pourquoi la Chine est en droit de défendre ses intérêts par tous les moyens qu’elle jugera nécessaires suivant la gravité de la situation, y compris ceux interdits par les lois de la guerre.

16. Des lois inventées par le monde occidental, pour le monde occidental.

17. La plus souvent, la grande stratégie résulte de l’addition de plusieurs : stratégies militaires (attaque conventionnelle, dissuasion nucléaire, action subversive [3], cyberterrorisme, etc.) et non militaires (accord commercial, offensive financière, sanctions économiques, aide conditionnée, etc.) – autant de combinaisons que de buts de guerre escomptés.

Le Trente-septième Stratagème chinois 18. Sun Zi dit : « En musique, il n’y a pas plus de cinq notes, mais leurs combinaisons donneront plus de mélodies que vous n’en pourrez jamais entendre. »
Terrorisme, guérilla, attaque biochimique ou cybernétique, infoguerre, frappez de toutes parts et à l’improviste là où l’ennemi s’avère vulnérable. La guerre hors limites ne connaît de restrictions que celles que lui commande sa finalité politique. En la matière, les cibles définissent les moyens.

19. Soyez réalistes ! Soyez immoraux !

L. Schang

* d’après La Guerre hors limites. L’art de la guerre asymétrique entre terrorime et globalisation de Qiao Liang et Wang Xiangsui, Paris, Bibliothèque Rivages, 2003 (première édition chinoise : Chao Xian Zhan Unrestricted Warfare, Beijing, PLA Literature ans Arts Publishing House, 1999. En français : « La guerre au-delà des règles ».) Dans ce livre, les deux colonels de l’Armée de l’air chinoise commencent par analyser la Première guerre du Golfe, avant de plaider pour une « combinaison (de stratégies) hors limites », en réponse au concept états-unien d’« opération omnidimensionnelle ».


Notes et références

Le Trente-septième Stratagème chinois [1] Le coût mensuel de la guerre en Afghanistan en 2007 est de un milliard de dollars ; le coût mensuel de la guerre en Irak pour la même période est de six milliards de dollars (estimation du Sénat américain).

[2] RMA, Revolution in Military Affairs. Trois lettres et un acronyme pour désigner le concept stratégique phare de l’ère post-Guerre froide. Les années 90, décennie électronique, voyaient le village mondial en mégapixels : la guerre du futur serait high-tech ou ne serait pas. Avec ses variantes aéroterrestre en Irak (1990-1991, 2003) et aéro-satellitaire en Serbie (1999), les faits semblaient alors donner raison aux tenants du tout technologique militaire. Prolifique, la littérature RMAiste (A. Marshall, A. Lake, D. Ronfeld, J. Arquila, A. et H. Toffler) annonçait les victoires sans combat de demain. Le knowledge warfare avait supplanté le manœuver warfare. Or depuis, les théoriciens de cette nouvelle conduite virtuelle de la guerre, à base de guidage à distance et de ciblage de précision, n’ont cessé de déchanter. L’échec patent des forces coalisées à gagner la paix en Afghanistan et en Irak le confirme chaque jour un peu plus. Utilisées dans deux conflits de basse intensité, les armes dites « intelligentes » ont eu tôt fait de montrer leurs limites opérationnelles contre un adversaire indistinct, jouant résolument la carte de l’asymétrie.

[3] En langue chinoise, le mot stratégie (zhanlue) s’écrit au moyen des deux sinogrammes zhan (combat) et lue (combiner).

Le Trente-septième Stratagème chinois est paru une première fois dans le dossier spécial “Chine” de la revue IMPUR, toujours disponible contre 9 euros frais de port compris chez Le Polémarque. (crédit photos : www.china-defense-mashup.com)