La guerre d’Afghanistan expliquée par Gallieni

La guerre d’Afghanistan expliquée par GallieniJ’étais passé à côté en 2008 lors de sa publication chez L’Archipel (ma prévention contre l’éditeur sans doute), lui préférant Les Guerres bâtardes. Comment l’Occident perd les batailles du XXIème siècle des journalistes Arnaud de La Grange et Jean-Marc Balencie, paru sensiblement à la même époque. Sa réédition au format de poche m’offre aujourd’hui l’opportunité de corriger cette erreur.

S’inscrivant dans le prolongement de ses travaux sur les guerres irrégulières (cf. bibliographie en fin d’article), le dernier né de Gérard Chaliand s’ouvre sur une double interrogation : pourquoi, avant 1945, les puissances européennes gagnent-elles toutes les guerres coloniales ? Pourquoi, après, finissent-elles par toutes les perdre, alors que, dans un cas comme dans l’autre, la supériorité en armement et matériels leur appartient ? Réponse du géopolitologue : une victoire ne peut être réputée décisive que si les résultats militaro-politiques, autrement dit historiques, engendrés le sont également. Et de citer en exemple la prise en compte de l’élément psychologique dans les stratégies anti-insurrectionnelles mises en œuvre par les généraux français Gallieni et Lyautey à Madagascar (de 1896 à 1905) et au Maroc (de 1912 à 1925) pour s’attirer la faveur des populations. Concrètement, sur le terrain, l’amélioration des voies de communications, la création d’une police, l’ouverture d’écoles publiques, le développement de l’économie locale, etc. Il est significatif à cet égard que les deux administrateurs coloniaux soient invoqués par le général (CA) Lecerf dans sa préface à l’ouvrage de Tactique générale édité par l’armée de Terre (très contextualisé Irak et Afghanistan [1]) avec les théoriciens français de la contre-insurrection Roger Trinquier et David Gallula.

On connaît l’intérêt que l’actuel chef des forces armées américaines en Afghanistan et en Irak, le général David Petraeus, lui-même rédacteur du manuel de contre-guérilla COIN (pour COunterINsurgency), porte à « l’école française » de guerre contre-insurrectionnelle. Difficile cependant de discerner les prémices d’un renouveau stratégique au sein de l’United States Central Command, alors que le président Obama vient d’annoncer l’envoi en Afghanistan de 30.000 soldats en renfort des 68.000 déjà sur place [2], et que le contingent américain en Irak devrait s’élever à 120.000 militaires en 2010 (sous-traitants non inclus). C’est que, nous explique Gérard Chaliand, « En Irak, comme au Viêt-nam, la guerre a commencé sur des présupposés erronés, sous-tendus par une stratégie inadaptée. » Le constat est là, presque sept ans après l’invasion de l’Irak, la résistance sunnite ne désarme pas, conduite par un noyau baasiste toujours actif à travers ses différents réseaux (feddayin, services secrets, Garde républicaine spéciale), qui n’a jamais reconnu sa défaite de 2003. Le plan de retrait des troupes américaines, prévu pour la fin 2011, atteste qu’aussi bien la supériorité technologique que la puissance de feu sont inopérantes face à une guérilla soutenue par une partie, sinon la majorité, de la population. Même état des lieux en Afghanistan, où les Talibans ne disposent pas des moyens nécessaires pour vaincre la coalition, mais où les coalisés échouent à venir à bout de la rébellion. Sans qu’ici aussi une sortie honorable au conflit se dessine à moyen terme.

Trop occupés pendant deux décennies à adapter leurs forces armées aux exigences de la Révolution dans les affaires militaires, ou RMA, ultime legs de la guerre froide, les états-majors occidentaux donnent aujourd’hui l’impression de découvrir les grands théoriciens de la guerre révolutionnaire : Lawrence, Mao Zedong, Hô Chi Minh… Pourtant, souligne l’auteur, en spécialiste de la question, les ouvrages sur la guérilla ne manquent pas dans la littérature militaire européenne, du premier traité byzantin paru au Xème siècle au chapitre que Clausewitz réserve à la « petite guerre » dans Vom Kriege. Les XVIIIème et XIXème siècles verront ainsi s’épanouir une floraison d’écrivains, la plupart influencés par les guerres napoléoniennes : de Jeney, de Grandmaison, von Ewald, von Valentini, Le Mière de Corvey. Leurs enseignements suffiront-ils à renverser la situation ? Ce n’est pas évident. Car entre-temps un facteur nouveau a modifié la donne, le vieillissement des nations européennes, qui se traduit dans les pays membres de l’OTAN par une opinion publique de plus en plus réticente à admettre la mort de ses soldats – l’avènement de l’ère « post-héroïque », selon l’expression d’Edward Luttwak. Or, conclut Gérard Chaliand au terme d’un essai qui emprunte plus qu’il n’y paraît à Sun Zi (d’où le titre du livre), la guerre irrégulière est une guerre longue, où il faut savoir durer si l’on veut emporter la décision.

L. Schang


Notes et références

[1] Tactique générale, préface du Général de corps d’armée Antoine Lecerf, Economica, 2008.
[2] Auxquels il faut ajouter les effectifs de la Force internationale d’assistance et de sécurité, l’ISAF.

« On peut dire que la tactique est l’utilisation des moyens militaires sur le terrain, tandis que les stratégies opérationnelles concernent l’articulation entre les facteurs logistique et tactique d’une part, et les objectifs fixés d’autre part. »

« La véritable révolution dans les affaires militaires concerne avant toute chose la dimension sociale de la stratégie, qui est intimement liée au contexte démographique et à l’évolution des mentalités dans les pays occidentaux. »

Gérard Chaliand, Le Nouvel Art de la Guerre, 157 p., Pocket, 2009

Du même auteur, en librairie

Anthologie mondiale de la stratégie. Des origines au nucléaire, préface de Lucien Poirier, postface de Pierre-Marie Gallois, Robert Laffont, coll. Bouquins, rééd. 2009.
Les guerres irrégulières, Gallimard, coll. Folio Actuel, 2008.
Guerres et civilisations, Odile Jacob, 2009.
Les bâtisseurs d’histoire, Pocket, coll. Agora, 2005.
Guérillas du Vietnam à l’Irak, Hachette Pluriel, 2008.
Empires nomades de la Mongolie au Danube, Perrin, coll. Tempus, 2005.