Guisan à Durban

Où ailleurs qu’à la guerre parle-t-on autant de stratégie, de tactique, de fronts de la défense et de l’attaque sinon dans le monde du football ? Le géopolitologue Pascal Boniface* en sait quelque chose, lui qui occupe sur le terrain et le poste de directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (I.R.I.S.) et celui de secrétaire général de la Fondation du Football.
Le 16 juin dernier au Durban Stadium, la modeste équipe de Suisse de football battait contre toute attente la présumée invincible armada espagnole, vainqueur de la Coupe d’Europe 2008 et grande favorite de ce Mondial, sur le score de 1 but à 0.
L’occasion pour l’écrivain militaire suisse Jean-Jacques Langendorf de se livrer à un parallèle historique entre cette victoire remportée par un onze 1) solide en défense, 2) à l’affût du moindre contre, et la stratégie du « Réduit national » adoptée en 1940 par le commandant en chef de l’armée suisse, le général Guisan. Rappelons pour mémoire que le Réduit national est ce système fortifié édifié au cœur de l’arc alpin suisse (21.000 ouvrages), à l’intérieur duquel se fût repliée le gros de l’armée en cas d’invasion allemande, le plateau helvétique étant jugé indéfendable au regard du rapport des forces.
Si la période 40-45 connaît chez nos voisins une vague de révisionnisme historique sans précédent**, les lecteurs français ne pourront qu’associer, en ces temps de commémoration, la stratégie du faible au fort élaborée par le général Guisan à l’esprit de l’Appel du 18 juin.

L. Schang

* auteur de La Terre est ronde comme un ballon : géopolitique du football (Seuil, 2002)
** Cf. Jean-Jacques Langendorf, La Suisse dans les tempêtes du XXe siècle, Georg Éditeur, 252 p., 2001.

 

GUISAN À DURBAN

À la veille du match Espagne-Suisse, tous les commentateurs sportifs, et moins sportifs, étaient d’accord pour considérer, face à l’extraordinaire qualité de l’équipe ibérique, les chances helvétiques comme inexistantes. Quelques rares optimistes pronostiquaient un match nul alors que les autres, se voulant réalistes, prévoyaient une lourde et inévitable défaite.
En 1939-1940, les commentateurs militaires, et moins militaires, estimaient que la Suisse n’avait aucune chance de repousser une offensive de la Wehrmacht. Celle-ci, grâce au binôme char-avion, n’avait-elle pas vaincu en un temps record l’armée polonaise, considérée comme puissante puis l’armée française que les “experts” jugeaient être la première du monde ?
Devant un tel déséquilibre des forces, le commandant en chef de l’armée helvétique, Henri Guisan, entouré d’officiers intelligents et efficaces (Barbey, Gonnard, German, etc.) opta pour la solution défensive qui, en utilisant un terrain difficile, devait permettre à l’armée helvétique de tenir, dans ce qui deviendra le “Réduit”. En même temps, cette armée aura pour mission, selon les circonstances, d’organiser des contre-attaques destinées à inquiéter l’ennemi en possession d’une partie du territoire et à lui porter des coups sensibles.
La Suisse n’ayant pas été envahie, la validité de cette hypothèse stratégique n’a pu être vérifiée. En revanche, le match Espagne-Suisse nous a permis d’assister, au niveau du football, à sa confirmation. Des Suisses formant un véritable rideau défensif, un véritable Réduit, devant leurs buts, abandonnaient à l’adversaire une partie du terrain, le gardien lançant des contre-attaques limitées, une contre-attaque plus importante, au coeur même du dispositif des Espagnols, permettant de leur porter le coup fatidique.
Clausewitz, le grand penseur militaire prussien, ne se lassait pas de comparer la guerre à un duel. S’il avait connu le football, il l’aurait certainement intégré dans sa comparaison.

J.-J. Langendorf

Jean-Jacques Langendorf a publié avec l’historien Pierre Streit Le Général Guisan et l’esprit de résistance aux Éditions Cabédita (Bière, collection Archives vivantes, 270 p., 2010)