Guerres-et-conflits parle des Souvenirs d’Alsace-Lorraine du prince Alexandre

Vendredi 16 novembre 2012

Provinces annexées

Souvenirs d’Alsace-Lorraine 1870-1923

Prince Alexandre de Hohenlohe

Introduction et notes de Laurent Schang

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Chacun comprendra que nous classions cette recension sous le thème « Première Guerre mondiale », non pas au regard de la stricte chronologie, mais en considération de l’importance de ce sujet au début et pendant la Grande Guerre.

L’Alsace-Lorraine, voilà en effet un sujet fort intéressant, appréhendé qui plus est à partir d’une source très originale. À travers ses souvenirs rédigés après la Première Guerre mondiale, le fils du régent d’ Alsace-Lorraine de 1894 à 1900, Chlodvig de Hohenlohe-Schillingsfürst, nous livre son analyse de l’administration impériale et de ce que Laurent Schang appelle « l’âme populaire » d’Alsace-Lorraine. Fruit de la conquête prussienne en 1870, dont la cession fut imposée par le traité de paix, cette « Terre d’Empire » devient tout à la fois le symbole de la nation et de la puissance allemande, et celui du rêve de revanche. Car, depuis le Traité de Francfort de 1871, les Français ne cessent d’espérer un retour de l’Alsace-Lorraine, même si le discours politique officiel évolue, alors que ce territoire est également revendiqué par le corps germanique depuis le XVIIe siècle, après la prise de Strasbourg. Entre le Second empire et la Grande Guerre, les Français « organisent » une propagande plus ou moins souterraine. Soutenus par le clergé catholique qui introduit progressivement la langue française dans l’enseignement, les Français tentent de renforcer un sentiment francophile déjà présent. Le conservatisme prussien, que dénonce le prince, a facilité selon lui cette action politique française revancharde. C’est l’une des causes de la sympathie éprouvée par les Alsaciens-Lorrains à l’entrée des troupes françaises sur le territoire en 1918.

Le prince Alexandre de Hohenlohe, qui se dit partisan d’une politique de pleine intégration de l’Alsace-Lorraine aux États confédérés allemands, en partie initiée par son père (ou présentée ainsi), regrette la rupture « germano-alsacienne-lorraine » et remet en cause l’administration impériale qui tend à considérer le peuple d’Alsace-Lorraine comme un peuple de deuxième classe. « Il s’agissait de contenter la population d’Alsace-Lorraine par une administration calme, persévérante et juste, de tenir compte de ses sentiments et de ses souvenirs ainsi que de ses coutumes, et d’amener peu à peu une adaptation à la situation existante jusqu’à ce que le moment fût venu de lui donner une autonomie complète et de lui confier le gouvernement du pays dans le cadre de l’Empire, comme l’a fait l’Angleterre avec l’Afrique du Sud ». Il nous brosse le portrait, parfois cruel, parfois ironique, toujours ponctué de détails précis et d’anecdotes, des principaux responsables allemands dans les provinces occupées, des députés alsaciens-lorrains et des élites locales, et même d’un empereur Guillaume II coupé des réalités. On jurerait presque que les déplacements officiels de nos autorités, aujourd’hui, soigneusement préparés et « millimétrés », sont ici décrits : « Quand on voulait étudier la profondeur des ravages que le byzantinisme produisait déjà en Allemagne, on n’avait qu’à assister à l’une des visites que l’Empereur faisait en Alsace-Lorraine tous les ans au mois de mai … En soi, la comédie que l’on donnait dans ces occasions aurait peut-être été inoffensive car la population s’y amusait. Mais ce qu’il y avait de grave, c’est que le souverain se faisait ainsi une fausse image de la vie et de l’état d’esprit de cette population … Aussi bien les fonctionnaires responsables que le souverain lui-même perdaient de vue le but principal qui aurait dû être celui de la visite du monarque, à savoir de se renseigner à fond sur la situation, les besoins, les désirs et les sentiments de la population »

Le Traité de Versailles rétablit les frontières d’avant 1871 et l’Alsace-Lorraine redevient donc française, ce qui est une véritable humiliation pour l’Allemagne et une surprise car nombreux étaient ceux qui pensaient que les liens entre le Reich et la « Terre d’Empire » étaient devenus indissolubles. Le témoignage précieux du prince Alexandre de Hohenlohe constitue, à cet égard, une source essentielle puisqu’il met en lumière la complexité non seulement de l’histoire de l’Alsace-Lorraine, mais aussi celle tout aussi réelle des sentiments de la population comme des élites allemandes.

YAMOUNI Mira

Éditions des Paraiges, Éditions Le Polémarque, Metz-Nancy, 2012, 73 pages, 10 euros.

ISBN : 978-2-9529246-7-2