Il faut bien l’admettre, les bandes dessinées dont les pilotes de la Regia Aeronautica sont les héros ne se bousculent pas en librairie. Pour apaiser le manque, les amateurs de la cocarde aux trois faisceaux avaient jusqu’ici le choix entre l’album Dans le lointain d’Hugo Pratt, chez Casterman, et… je ne sais pas. C’est dire si la parution à la fin de l’année 2009 d’Umberto Mistri Aviateur, du dessinateur italien Paolo Raffaelli, est venue combler un vide.
En résumé, sur fond de mutations et de duels aériens, l’histoire, présentée par beaucoup comme véridique, de deux pilotes de chasse, cousins dans le civil, dont la belle camaraderie ne survivra pas à l’amour d’une brune. Problème : nulle part je n’ai trouvé la moindre trace d’un document authentifiant l’existence de cet Umberto Mistri, lequel en tous les cas ne figure pas sur la liste des as italiens de la Seconde Guerre mondiale. Certes, le découpage du récit a de quoi laisser le lecteur perplexe, avec son enchevêtrement de séquences temporelles plutôt incertain, mais quel plaisir aussi de voir évoluer dans les airs ces appareils oubliés, recréés pour nous par le talentueux coup de crayon de Paolo Raffaelli ! Une rapide recherche sur la Toile m’ayant permis d’admirer plusieurs planches couleurs de la version originale d’Umberto Mistri Pilota (1), ceux qui connaissent la beauté des camouflages transalpins comprendront d’autant mon chagrin devant le terne noir et blanc de l’édition française.
Les inconditionnels d’Hugo Pratt auront sans doute déjà noté la ressemblance du scénario avec celui de Dans le lointain. Sur le plan du matériel aussi, Raffaelli se positionne dans le sillage du maître, en situant le début de son intrigue en 1941, quand le héros de Pratt terminait sa course la même année du côté de l’Abyssinie orientale. Autre théâtre d’opérations et autre génération de machines volantes : là où Pietro Bronzi pilotait encore de vénérables coucous, biplans Fiat CR.32 et CR.42 en retard de dix ans quant à leurs conceptions, Umberto Mistri vole aux commandes du dernier cri de l’aéronautique italienne, le Macchi MC.202 « Folgore » (« Foudre »), le meilleur chasseur de la Regia Aeronautica, valable face au Spitfire si seulement les ingénieurs l’avaient mieux armé – le drame de tous les engins italiens de l’époque (2). Petite précision au passage, Raffaelli dessine lui-même ses avions, à la différence de Pratt, qui préférait confier à ses assistants cette besogne apparemment ingrate.
La Maîtrise de l’air, en italien Il dominio dell’aria, d’après le titre du grand classique du général Giulio Douhet (1869-1930), les hommes de la Regia Aeronautica ne l’obtinrent pas plus en Russie qu’en Afrique. L’occasion de rappeler que la traduction française intégrale du premier traité de stratégie aérienne, paru en Italie en 1921, est désormais disponible aux Éditions Economica. Savoir que les spécialistes parlent d’une pensée douhétienne comparable à la pensée clausewitzienne dans le domaine de l’aéronautique militaire. L’influence de ce théoricien – d’aucuns diront visionnaire – venu de l’artillerie, partisan de l’attaque surprise et du bombardement de terreur (on lui doit l’idée des flottes de « croiseurs aériens ») qui eut un temps l’oreille du Duce, ne se limita pas au seul continent européen (3). Les plus bibliophiles d’entre nous découvriront, avec Comment Paris sera détruit en 1936, de l’énigmatique major von Helders (4), la meilleure transposition romanesque qui soit de sa doctrine, à base d’offensives aériennes au-dessus de la Manche (car ici ce sont les Anglais les méchants) et de carpet bombings.
L. Schang