Guerres-et-conflits a lu JFC Fuller

17 mars 2016

La Troisième Voie

La pensée politique de J.F.C. Fuller

Olivier Entraygues

Sans doute seul spécialiste français du général Fuller, auquel il a consacré sa thèse et plusieurs ouvrages, Olivier Entraygues nous propose une étude dont le seul titre peut paraître risqué : la pensée politique de son sujet. Réponse instinctive : l’un des responsables de la British Union of Fascists (BUF) pendant plusieurs années… Mais réponse finalement un peu courte.

Avec ce dernier opus, Olivier Entraygues souhaite “présenter un aspect peu connu de ses écrits”, puisque“pour Fuller, la pensée militaire se double toujours d’une pensée sous-jacente politique et ontologique”. Il aborde donc avec méthode les écrits politiques de Fuller pour la période 1933-1940 qui, certes “marqués d’antisémitisme”, pourraient “se définir comme la recherche … d’un ordre modèle d’organisation politique, c’est-à-dire un fascisme éclairé par la raison”. Le propos, on le voit, est profondément honnête (étudier l’homme dans toutes ses facettes sans exclusive ni oeillières) mais très risqué.

Après avoir amplement précisé le cadre intellectuel et culturel qui était celui de Fuller afin de prendre en compte le contexte, il détaille ses écrits historiques, sa définition du “Royaume-Uni”, cette certitude dans son époque que “L’Angleterre (victorienne) doit gouverner le monde”, l’importance de l’insularité, les qualités intrinsèques du soldat anglais selon lui, et revient assez longuement sur la jeunesse et l’éducation du jeune Fuller, ainsi que sur sa carrière militaire. Les lignes consacrées à la tendance à l’occultisme de Fuller semblent les moins convaincantes et la démonstration est minimaliste : “Ces deux ouvrages mettent une nouvelle fois en valeur sa qualité d’historien qui est cependant à nuancer par des tendances à une lecture fascisante de l’histoire”. Une tendance ? Une formule que les Britanniques qualifieraient sans doute de litote étudiée, même s’il est bien certain qu’il y a autant de “tendances fascisantes” que de spécificités nationales. Plus intéressante est l’analyse faite à la fin de la deuxième partie sur “Une vision politique engagée”, avec cette idée de créer un ministère de la Défense nationale “fédérateur” pour l’empire britannique et son interprétation de la faillite du traité de Versailles n’est pas sans intérêt, sans compter une certaine influence de Charles Maurras (y compris dans l’argumentation contre la finance apatride et le rôle attribué ici aux “banquiers juifs”. On débouche sur la notion “d’intrigue occulte”,  qui permet la création de la Société des Nations et la remise en cause de l’ordre européen traditionnel. De tout ce salamigondis plus ou moins fumeux, n’émerge finalement que la crainte de voir l’empire disparaître : “Son interprétation générale de l’histoire repose sur la croyance que seul un grand homme et non le peuple peut exercer une influence sur les destinées d’une nation”. Une interprétation qui repose, pour de nombreux exemples, sur des informations erronées et des a priori douteux. Parmi ses motivations à rejoindre la BUF : “un ensemble de déceptions” et“le jusqu’au-boutisme de ses idées”. L’argument-pivot pour ce théoricien de la tactique et de la stratégie :“Plus les instruments de la guerre deviennent puissants, plus leur direction et leur contrôle doivent être avisés”. Sa critique d’un système financier despotique, “usurier”, il prône le corporatisme et un “système économique de bon sens”, sans oublier “la liberté de la vie culturelle de tout un chacun”. Ajoutons pour faire bonne mesure l’antibolchevisme et une dose d’unité européenne (de l’Ouest) et nous ne sommes pas loin de différents textes des “technocrates” de Vichy, qui firent le choix de la collaboration par “simple” souci technique d’efficacité… Le livre se termine, avec une longue deuxième partie (plus de 150 pages), par la retranscription de plusieurs articles importants publiés par Fuller dans l’entre-deux-guerres. Heureuse initiative qui permet de revenir à l’original des textes de ce général finalement bien étrange.

Si le livre est réellement passionnant, il laisse un sentiment mitigé. Finalement, on peut être un grand penseur militaire et un piètre politique.

Editions Le Polémarque, Nancy, 2015, 339 pages, 20,- euros.

ISBN : 979-10-92525-03-8.

Penseur iconoclaste