Hans Frick, le Bréviaire tactique et la France : histoire d’un rendez-vous manqué

ob_033274_chpmpenseemilitairesuisse“Monsieur le Président, Madame, Messieurs,

En guise d’introduction, je vous propose une courte citation. Ouvrez les guillemets : « La Suisse produit [en 1943] un chef-d’œuvre de la littérature tactique, le Bréviaire tactique du colonel divisionnaire Hans Frick. » Fermez les guillemets. Ces quelques mots sont tirés du Traité de stratégie de l’éminent professeur (E.P.H.E.), directeur de cours (École de guerre, ex C.I.D.) et fondateur de l’Institut de Stratégie et des Conflits, Hervé Coutau-Bégarie. Sans conteste, l’ouvrage le plus important publié en langue française sur le sujet ces cinquante dernières années. Aussi élogieuse soit-elle, la mention extraite de la septième édition[1] du Traité ne doit cependant pas faire illusion : les lecteurs intéressés, simples chercheurs ou officiers stagiaires à l’École de guerre, seraient bien en peine aujourd’hui de mettre la main sur un exemplaire du livre. À titre d’information, le Bréviaire tactique n’est répertorié ni à la bibliothèque de l’École militaire de Paris, ni dans aucune des collections des bibliothèques du Service historique de la Défense. La Revue historique des armées n’en parle pas davantage dans sa livraison[2] de 2006 consacrée aux relations militaires franco-suisses. Coutau-Bégarie, auteur lui-même d’un Bréviaire stratégique dont je ne peux croire que le choix du titre ait été fortuit[3], fonde son jugement à partir de la traduction française parue chez Payot en 1944, la seule existante jusqu’en 2011. De fait, la réédition du Bréviaire présentée ici n’a été rendue possible que par la bonne volonté de la Bibliothèque militaire fédérale de Berne, que je remercie au passage.

Autant le dire, face à un cas de méconnaissance aussi caractérisé, nous sommes réduits à émettre des hypothèses. Pour tenter de le justifier, on pourra arguer que l’époque n’était pas propice, avant comme après 1945.  Une explication peu satisfaisante, quand on sait à quel rythme les ouvrages à vocation militaire ont continué à paraître, aussi bien sous le régime de Vichy que dans la France occupée ou à Londres. Qu’on songe par exemple aux livres de poche en langue française des éditions Penguin. Un manque de curiosité alors, de la part d’un pays tour à tour battu à plate couture en 1940 et assis à la table des vainqueurs en 1945, pour une publication venant d’un voisin demeuré neutre tout le temps que dura la guerre ? On ne saurait l’exclure. Sans aller aussi loin que les écrits, à mon avis injustement méconnus, du major von Dach, il suffit de constater en quelle piètre estime la figure du général Guisan est tenue outre-Jura. Plus largement, le désintérêt manifeste de l’institution militaire française pour le Bréviaire tactique est peut-être à chercher du côté de la doctrine elle-même et de ce qu’un romancier récemment récompensé du Prix Goncourt qualifiait d’Art français de la guerre. Ce faisant, il devient aussi intéressant, par effet miroir, de relire cette doctrine à l’aune du Bréviaire tactique.”

La suite de cette allocution dans Les Actes du symposium 2012 du Centre d’Histoire et de Prospective Militaires (sous la direction de Pierre Streit), La pensée militaire suisse de 1800 à nos jours, CHPM, Pully, 2013, 180 p.

Disponible sur le site du CHPM : www.militariahelvetica.ch



[1] Paris, Economica, 2011, p.262.

[2] n°243

[3] Paris, ISC, 2003, rééd. 2012.