Résumé de lecture IV

clausewitz roques“Der Krieg ist eine blosze Fortsetzung der Politik mit anderen Mitteln.” Qui ne connaît la célébrissime maxime tirée de De la guerre, le chef d’œuvre de Clausewitz ? À présent, qui peut dire sous quels uniformes combattit Clausewitz, qui furent ses ennemis et en quoi consiste, de façon plus générale, son apport essentiel à la théorie stratégique ? En passant à la postérité, une citation forte enterre la pensée de son auteur aussi sûrement qu’elle la consacre. Saluons donc l’heureuse initiative des Éditions Astrée, qui republient Le général de Clausewitz de Paul Roques, biographie à double titre intéressante, puisque écrite par un germaniste français en 1912. Avec, en prime, une bien belle préface de l’éditeur*. Résumé de lecture.

 

– Clausewitz et la France. Sa bête noire, avant même Napoléon au firmament. Le Junker (officier porte-drapeau) Carl Maria von Clausewitz fête ses treize ans en 1793 sous les murs de la citadelle française assiégée de Mayence, dans les rangs de la première coalition prusso-autrichienne. Il gardera un souvenir bucolique de sa campagne dans les Vosges du Nord. Romantisme militaire.

– Théoricien éminent, Clausewitz aurait été selon certains un piètre commandant. Des propos contredits par sa crâne attitude lors de la bataille d’Auerstaedt en 1806. La prise du village de Poppel sous ses ordres, inutile au vu du dénouement de la bataille, demeure le seul fait d’armes à mettre à l’actif des Prussiens en cette funeste journée pour le royaume de Prusse.

– Fait prisonnier suite à la défaite de 1806, Clausewitz est assigné à résidence à Nancy en compagnie du prince Auguste. Il s’y ennuie beaucoup. Paris ne l’enchante pas davantage. Las, sa fréquentation forcée des Français durant un an n’ira pas pour le réconcilier avec la patrie des droits de l’homme.

– Spenglérien avant l’heure, Clausewitz compare déjà les Allemands aux anciens Grecs, les Français tenant le rôle des Romains. Cela n’a rien d’un compliment dans sa bouche.

– Francophobe, Clausewitz est au contraire un ami déclaré des Suisses. Toujours interdit de séjour en Prusse, l’Histoire de la Suisse de Jean de Müller devient, avec Les Principes généraux de la guerre de Frédéric II, son livre de chevet.

– L’effondrement de 1806 est aussi une aubaine pour la génération montante, celle des Scharnhorst, Gneisenau, Boyen, Clausewitz, réunie au sein de la Militärorganisationskommission en 1808. Esprits réformistes, jamais à court d’idées, leur ambition est grande pour l’armée prussienne rénovée. Ils la conçoivent nationale, citoyenne, égalitaire dans l’avancement, toute distinction de caste abolie. Leur premier souhait, accordé par le roi, est d’en finir avec le recrutement à l’étranger. L’égalité de traitement, on verra plus tard.

– Clausewitz franchit son Rubicon en 1812 et revêt l’uniforme de lieutenant-colonel de l’armée impériale russe. La Prusse est alors l’alliée de la France depuis le traité de Tilsit, signé en 1807. Une tradition, la russophilie de l’élite militaire prussienne, encore vivace en 1933. Voir Seeckt et Hammerstein.

– Avec la fin des guerres napoléoniennes commencent pour Clausewitz les années de cafard. Relégué à des tâches administratives en dépit des honneurs : général-major en 1818, directeur de l’Allgemeine Kriegschule de Berlin, l’inaction le mine. Par un étrange paradoxe, les ennemis du Corse se retrouvent aussi démunis sans lui que ses plus fidèles grognards. Pendant douze ans, Clausewitz va remplir sa fonction. Douze ans, le temps nécessaire à la maturation de De la guerre.

– L’État ! L’État ! L’État ! Trop monarchiste pour être un vrai libéral, trop nationaliste pour regretter le féodalisme, Clausewitz est aussi peu réactionnaire qu’il n’est progressiste. En politique comme à la guerre, seules les valeurs d’énergie et d’efficacité ont sa faveur.

– Point trop d’érudition mais une intelligence nourrie par un sens aigu des hommes et du terrain ; du génie mais un génie irrigué par une connaissance historique bien dosée. Face aux hasards de la guerre (les « frictions »), le vrai chef révèle la part d’artiste qui sommeille en lui. Les scientifiques n’ont pas leur place sur le champ de bataille.

– Se présenter en force à l’endroit critique, tenir ses troupes en bon ordre avant le bataille, les concentrer et les engager toutes ensemble au moment décisif afin de détruire l’adversaire (Vernichtung des Gegners) : Moltke fut bien le premier des généraux clausewitziens.

– Clausewitz meurt du choléra le 16 novembre 1831 son grand œuvre inachevé, précédé de deux jours par Hegel qui succombe au même mal. Le 24 août déjà, le choléra emportait Gneisenau. On a longtemps cru, à tort, Clausewitz lecteur de Hegel. Jean-Jacques Langendorf a depuis rectifié le tir**.

L. Schang

* Paul Roques, Le général de Clausewitz, Sa vie et sa théorie de la guerre, Paris, Éditions Astrée, 2013, 160 p. Chez leclausewitz prusse même éditeur, Carl von Clausewitz, Théorie du combat, Précédé de l’Enseignement militaire au prince de Prusse, 2013, 175 p.

** Jean-Jacques Langendorf, La pensée militaire prussienne, Paris, Éditions Economica, 2012, 624 p.