« L’Europe en crise : nouvelle Guerre de Trente Ans ? »

Par deux fois en 2010, l’émission de radio « Les Chroniques de la Vieille Europe » invitait le Polémarque à prendre la parole sur un sujet de son choix. Les paroles s’envolent, les écrits restent…

L. Schang

 

Bonsoir Messieurs, bonsoir à tous les auditeurs.

 

J’étais parti pour vous offrir une revue de détail de la presse spécialisée dans les conflits actuels quand hier sur la Toile, je suis tombé sur une série de quatre articles signés par le professeur d’université suisse Bernard Wicht, intitulés « L’Europe en crise : nouvelle Guerre de Trente Ans ? », avec un point d’interrogation*. Précisons tout de suite que Bernard Wicht enseigne à Lausanne, qu’il se présente comme un héritier de Braudel et que sa spécialité est la stratégie. Quatre articles disais-je, les quatre chapitres d’un essai de prospective que je recommande à tous ici et dont je vais vous donner la synthèse. Écoutez bien, on imagine avec peine une telle liberté de parole chez un quelconque universitaire français.

Bernard Wicht part de l’idée que pour remédier à la crise financière qui les touche et à la dette publique vertigineuse qui l’accompagne, les États européens ne s’interdiront plus longtemps de confisquer les fortunes privées. Au sein de l’UE bien sûr mais, pense Bernard Wicht, la Suisse, le premier coffre privé d’Europe, ne sera sans doute pas épargnée. Cela passe aujourd’hui par l’insistance presque menaçante avec laquelle l’administration européenne appelle la Suisse à rejoindre l’UE, sous-entendu pour mieux la ligoter juridiquement ; cela pourrait passer dans un avenir proche par une intervention de type militaire – ce qui du reste ne serait pas une première dans l’histoire. À cet effet, le Traité de Lisbonne a prévu la possibilité pour l’UE d’intervenir dans un État déclaré failli. Une force d’intervention rapide coiffée d’un État-major spécial a même été instituée. Après tout, il n’y a pas besoin d’être marxiste pour savoir que la première crise de l’ère industrielle fut réglée par les guerres napoléoniennes, celle de la fin du XIXe siècle par la Première Guerre mondiale et la crise de 1929 par la Seconde.

Mais pour en arriver là, nous dit Wicht, il aura fallu un processus long de quatre siècles, celui qui mena les peuples européens de l’État-nation souverain, jaloux de son indépendance, au super-État bureaucratique européen. Aujourd’hui nous arrivons au terme de ce processus. D’ores et déjà nous sommes sortis de l’ère moderne/industrielle et nous entrons tant bien que mal dans un Nouveau Moyen Âge dominé par la société de l’information et l’économie financière globalisée. En ce sens, la crise de la zone Euro consacre plus qu’elle n’inaugure une période historique nouvelle, où toutes les structures hiérarchiques héritées de la Modernité sont contestées. Une période de chaos social se dessine, comme tous les changements macro-historiques en Europe en ont comporté, avec son lot de révoltes urbaines, de criminalité galopante, de crises des valeurs et, pourquoi pas ? de guerres civiles et/ou interétatiques. Les États (et le super-État européen ne fait pas exception) étant entendus ici comme de simples outils de coercition aux mains des places financières, leurs armées ravalées au rang de SMP, ces sociétés militaires privées dont la plupart appartiennent aux holdings ayant des intérêts dans tous les secteurs sensibles : infrastructures, ressources minières, transports, investissement financier.

On le voit, il ne s’agit plus à travers la guerre de résorber le chômage de masse par la relance de la production industrielle, mais de réactiver les flux financiers mondiaux. Et personne n’est à l’abri. Dans le pire des scenarii entrevus par Bernard Wicht, le plus plausible aussi à ses yeux, c’est l’Union européenne qui risque de se retrouver en proie au chaos généralisé, si tel est le bon vouloir, par exemple, de la City de Londres.

On pourrait juger la thèse de Wicht décliniste. Il n’en est rien. Dans ces pages, Wicht ne fait qu’exposer ce qui selon lui nous attend, avec le froid recul de l’historien des civilisations et, un peu aussi, le fatalisme amusé propre à tous les Cassandre.

Alors, pourquoi la Guerre de Trente ans ? Parce que – est-ce une chance ? – l’état des armées de l’Union européenne est tel à l’heure actuelle que les places financières devront payer des entrepreneurs militaires privés, nouveaux Wallenstein qui géreront la guerre autant qu’ils la mèneront, et que nous assistons à la disparition à l’échelle planétaire de tout vrai leadership.

Vous en conviendrez, qu’on y adhère ou pas, la thèse de Bernard Wicht s’avère des plus stimulantes.

 

* blog.francoismonney.com/…/bernard-wicht-analyse-suisse-mega-crise-financiere-europenne/