Guerres-et-conflits a aimé Prisonniers des libérateurs

25 décembre 2014

Alsaciens-Lorrains

Prisonniers des libérateurs

Les otages alsaciens-lorrains en France pendant la Grande Guerre

Camille Maire

Prisonniers des libérateursLa question a longtemps été taboue, mais le sort des Alsaciens-Lorrains littéralement enlevés comme otages par les Français au début de la Grande Guerre ne fut pas toujours facile. Il faut toutefois se souvenir qu’en août 1914 les Alsaciens-Lorrains (en dehors de tout discours de propagande) sont juridiquement les ressortissants (depuis plus de 40 ans) d’un Etat ennemi, et dans la presse d’avant-guerre les informations relatives aux “provinces perdues” figurent bien sous la rubrique “Etranger”. Quel que soit les discours ultérieurs, cette situation initiale ne doit pas être oubliée.

Le livre s’intéresse donc aux Alsaciens-Lorrains arrêtés (et souvent déclarés “otages”) dès août 1914 lorsque l’armée française pénètre dans le Reichsland au début de la guerre. L’auteur précise toutefois qu’il s’agissait parfois de personnes d’origine allemande, qui se réinstalleront après 1918 de l’autre côté du Rhin. Situations complexes donc, où s’entremêlent données objectives, éléments juridiques et facteurs psychologiques plus ou moins fantasmés entre ces “futurs Français” potentiels et leurs gardiens. Il note également que les soldats français se comportent de manière parfois indigne, à la différence des gendarmes qui font preuve de davantage de respect. Le livre présente ensuite une longue litanie de situations souvent difficiles d’internement, d’abord immédiatement en arrière des armées, puis très vite à l’autre extrémité de l’hexagone, vers le Sud-est et le Sud-ouest. D’un emplacement à l’autre, en fonction de la nature juridique du lieu, de l’environnement plus ou moins dur et de l’état des locaux, des responsables locaux de la surveillance, les conditions de vie de ces “évacués” (ressortissants des pays de la Triplice) peuvent varier considérablement. Privés de liberté, parfois considérés comme des ennemis, ils sont regroupés dans des locaux peu salubres et connaissent de nombreuses difficultés d’alimentation. Si le sous-préfet d’Espalion, le commandant du camp de l’île du Frioul ou celui du château d’If s’efforcent d’améliorer les conditions de vie dans la mesure de leurs moyens, ce n’est pas le cas partout. Les relations sont surtout souvent délicates avec la population locale, qui assimile facilement Alsaciens-Lorrains et “Boches”, d’autant que ces hommes qui ne sont pas au front, à la différence des fils et frères des habitants du secteur, parlent entre eux un “patois” germanique.

Finalement, des situations extrêmement contrastées, dont il ne faut certes pas oublier les mauvais traitements, les fautes, les excès, mais également les nombreux gestes d’humanité, dans une période de grandes difficultés pour tous et de développement d’une propagande sans grande finesse. Un livre sur un sujet tout à fait original, qu’il ne faut pas traiter sur un ton polémique (un “camp de concentration” de 1914 n’a pas grand-chose à voir avec son successeur de la Seconde guerre mondiale) et qu’il faut toujours contextualiser dans son époque. Un livre à lire, que l’on s’intéresse à l’histoire régionale, à la vie dans les départements de l’intérieur ou aux reconstructions, pendant la guerre comme après, du discours sur l’Alsace-Lorraine.

Le Polémarque / Editions des Paraiges, Nancy, 2014, 175 pages, 15 euros.

ISBN : 979-10-90185-62-3.