Faire la guerre comme un Suisse

éléments morges_NEW« Boire en suisse ». L’aphorisme est  aujourd’hui aussi passé de mode dans le langage courant que la crainte du mercenaire suisse sur les champs de bataille européens. L’énormité des pertes enregistrées lors des deux guerres mondiales, conflits durant lesquels la Confédération helvétique se limita au rôle d’observateur, a relégué le souvenir de ses glorieux faits d’armes au rayon des accessoires militaires.

Et pourtant. Le 5 janvier 1477, Charles le Téméraire trouvait la mort à Nancy, vaincu par l’armée du duc de Lorraine, qu’un puissant contingent suisse était venu renforcer. L’année précédente, son rêve d’un État bourguignon allant de la mer du Nord à l’Italie s’était déjà fracassé par deux fois contre les redoutables carrés suisses, à Grandson1 puis à Morat. Un tercet nous est resté : « À Grandson il perdit son bien / À Morat il perdit son courage / À Nancy il perdit la vie ». Riche de cette expérience, le roi de France Louis XI s’en remit aux 20.000 piétons emmenés par le chevalier bernois Guillaume de Diesbach pour constituer, en 1480, la première infanterie régulière du royaume. Les fameuses Bandes de Picardie, arborant croix blanche sur fond rouge, étaient suisses ! Loin de ruiner leur crédit, la paix perpétuelle qui suivit la défaite des piquiers suisses à Marignan en 1515 – de mémoire de soldat, rarement l’on vit armée vaincue retraiter en si bon ordre – accéléra encore le mouvement. Les XIII Cantons devinrent ainsi les fournisseurs officiels de mercenaires du royaume de France jusqu’en 1830. Sous Louis XV, l’armée française dénombrait onze régiments suisses d’infanterie de ligne, soit 13.000 hommes2, auxquels il convient d’ajouter les cent Gardes suisses de la Maison du Roi, ceux-là même que les Parisiens massacrèrent au Palais des Tuileries, le 10 août 1792. À une époque où la France donnait le ton à toutes les cours d’Europe, les Cent-Suisses connurent un vrai succès à l’exportation. De fait, l’empire d’Autriche, l’électorat de Brandebourg et le royaume de Piémont-Sardaigne eurent aussi leurs gardes suisses. Ultime survivance de ce passé faste, la Garde suisse pontificale (Cohors Helvetica Pontificia) veille toujours à la sécurité du Vatican en 2014.

L. Schang

La suite de cet article dans le n°153 du magazine Eléments (octobre-décembre 2014, 62 pages, 5,95 euros sur commande)

1 Cf. Pierre Streit, Morat (1476), L’indépendance des cantons suisses, Economica, 2013.

2 Des mercenaires suisses combattirent dans les deux camps adverses, français et hollandais, à la bataille de Malplaquet, en 1709.