APRÈS-DEMAIN LE CITOYEN-SOLDAT 2.0 – Une lecture de Bernard Wicht

APRÈS-DEMAIN LE CITOYEN-SOLDAT 2.0

Une lecture de Bernard Wicht

 

 

« Regardez la Grèce qui se fait dicter ses programmes

d’austérité, sa politique et son gouvernement par les

marchés financiers. Pour moi, c’est la fin de la

citoyenneté et de la démocratie au sens où on

les concevait dans le cadre de l’État-nation. »

 

 

En l’an 1291, trois solides montagnards formèrent ensemble le projet d’une conjuration, de celles qui accouchent des nations. Le premier montagnard, dont l’âge nous est inconnu, arrivait du canton d’Uri et s’appelait Walter Fürst. Ses deux complices, d’âge également indéterminé, avaient pour nom Arnold de Melchtal et Werner Stauffacher. L’un était originaire du canton d’Unterwald, l’autre du canton de Schwyz.

L’histoire a retenu ce rendez-vous secret sur la prairie du Grütli, et qu’importe si une bonne part de mythe s’en est mêlée, comme l’acte fondateur de la Confédération helvétique. Une fois couché par écrit, le pacte fédéral suisse conclu par les trois cantons primitifs contenait en germe, outre son indépendance, conquise en 1499 sur les Habsbourg, les traits de caractère propres à tout un pays.

Et puisqu’il semble que l’histoire doive toujours se répéter, hier le Saint Empire romain germanique, aujourd’hui l’Union européenne, l’idée d’une conjuration d’hommes libres capables de dévier le cours des choses trouve outre-Léman une vigueur nouvelle, portée par les écrits du stratège fribourgeois Bernard Wicht. Si nous sommes, à le lire, à la veille d’une guerre intra-étatique d’un genre inédit (mais aux prodromes bien définis, nous le verrons), l’intérêt grandissant pour ses travaux théoriques présage aussi le bel avenir du citoyen-soldat.

 

Un Kriegsspiel wichtien : la Suisse, « État failli »

 

202… Toujours en butte au marasme économique et financier, malgré dix années de politiques d’austérité, les trois pays fondateurs du Marché commun européen, la France, l’Allemagne et l’Italie, se retrouvent à leur tour dans la situation de la Grèce, ayant été acculés à la faillite par l’ampleur de leur dette publique et l’aggravation des désordres sociaux. Les débordements des groupes radicaux, devenus endémiques avec l’installation d’un chômage de masse, l’élargissement de la fracture sociale et la prolifération des zones de non-droit nécessitent une réponse à la mesure des enjeux. Une « bonne » guerre ? L’Union européenne s’est construite sur la volonté d’interdire toute éventualité même de conflit ouvert entre les États de l’Union. Aussi une agression armée est-elle exclue, quand bien même on disposerait encore des moyens militaires et financiers exigés par ce type d’opération.

Seul un afflux massif de capitaux frais pourrait encore éviter aux États de la zone euro la banqueroute générale, annonciatrice de son effondrement complet. Or, une solution a été apportée à ce problème en 1933 : elle consisterait à confisquer par la loi la totalité des fortunes privées européennes. C’est ce que fit le président états-unien Franklin D. Roosevelt, lorsqu’il s’empara de tous les coffres-forts du pays, avec l’appui de l’ensemble des forces de l’ordre, police et armée.

Cependant, la manne résultée de la mainmise sur les banques de dépôt de l’UE se révèle décevante. Aussi les regards se tournent-ils de nouveau vers la Suisse, première détentrice de fortunes privées d’Europe. De toutes parts, la Confédération helvétique est pressée d’adhérer à l’Union européenne. La décennie 2010, au terme d’un procès uniquement à charge, instruit par les médias du monde entier, assista au démantèlement du secret bancaire suisse. Cette fois, c’est le placement de la Suisse sous tutelle pure et simple qui est visé.

Le temps passe. Le chantage diplomatique, les manœuvres juridico-financières assorties de sanctions ne suffisant pas à faire plier la petite Confédération, l’UE opte pour une stratégie résolument annexionniste et déclare la Suisse failed state, « État failli », au terme d’une intense campagne de déstabilisation combinant contestation politique interne, énième mise en accusation du pays pour son attitude « coupable » lors de la Deuxième Guerre mondiale et criminalisation unilatérale de l’ordre juridique helvétique. Le traité de Lisbonne ayant prévu la possibilité pour l’UE de s’immiscer dans les affaires d’un État déclaré failli, une force d’intervention rapide coiffée d’un état-major spécial est constituée. L’invocation par la Commission de Bruxelles du droit d’ingérence « démocratique et humanitaire » parachève l’orchestration des dissensions créées de toutes pièces au niveau fédéral depuis plusieurs mois…

Laurent SCHANG

4e de couverture Stratégique SuisseLa suite de cet article dans le numéro 107 (novembre 2014) de la revue Stratéqique, dossier “Regards croisés franco-suisses” dirigé par Martin Motte.